Table ronde d’ouverture : comment aménager le cadre de vie des Français dans un contexte de crise ?
On assiste sur une plus grande échelle depuis un an, à une la convergence des contraintes et des risques qui pèsent sur les acteurs impliqués à divers titres dans l'aménagement du cadre de vie. L'incertitude est plus que jamais une composante constitutive de l'aménagement : incertitude socio-politique, incertitude législative, inventions techniques, changement des modes de vie et de travail, crise des filières privées de l'immobilier. S'y ajoutent depuis une dizaine d'années les transformations de paradigmes encore non abouties.
Entre budgets publics contraints, violent ajustement des valeurs économiques, évolutions démographiques, catastrophes climatiques et perte de sens démocratique, comment se projeter dans l'avenir ?
Quelle attitude adopter face à la montée des menaces et de l'incertitude ? Continuer comme avant ? Refuser d'agir ? Accepter des "temps morts" dans des projets ? "Les aménageurs vont devoir apprendre à renoncer", expliquait Jérôme Goze, directeur de la Fab de Bordeaux Métropole au mois de mars de cette année.
Quelles sont les marges de manœuvre des acteurs de terrain, à leur échelle, celles des territoires, de la parcelle au bassin de vie ?
Animation par Rémi Cambau - Fondateur de Cadre de Ville, Hélène Peskine - Directrice générale adjointe « coordination réseau territorial », Cerema, Baptiste Perrissin-Fabert - Directeur général délégué en charge de l’expertise, ADEME, Fadia Karam - Directrice générale, Espaces Ferroviaires, Kosta Kastrinidis - Directeur adjoint, Banque des Territoires
Focus 1.1 : Faire face aux conséquences immédiates et violentes du changement climatique : reconstruire en tenant compte d’un contexte de polycrise : 10h30 - 11h45
Intervention
Le village de Fontan dans la vallée de la Roya : une opération partenariale et innovante de sauvegarde du village face au risque inondation
Très impacté par la tempête Alex, le village de Fontan, traversé par la Roya, bénéficie d'une forte dimension patrimoniale et la démolition des maisons anciennes n’est pas envisageable. A son échelle, le village ne peut pas porter les importantes actions techniques de protection des berges et renforcement des fondations du bâti ancien nécessaire à sa sauvegarde. De nombreux acteurs ont été mobilisés dans une logique partenariale (services de l'Etat, collectivités territoriale, maîtres d'oeuvre, assurances…) et les dispositifs existants tels que le fonds Barnier ou le Mirapi ont été adaptés, avec une démarche expérimentale, pour être utilisés dans le cas spécifique de Fontan.
Philippe Oudot - Maire de Fontan, Fabien Goure - Architecte de l’opération
Intervention
Après le passage de Chido, quelle réponse globale à un contexte de crises multiples ? Exemple du Crous à Mayotte
Croissance du nombre d’étudiants et de la population, épisodes climatiques violents : Mayotte est confrontée à un contexte de crises multiples.
Alors que le Crous cherchait des opportunités d’agrandissement, la nécessaire reconstruction suite au cyclone Chido a été saisie comme une opportunité. Des projets ont été lancés en partenariat entre le bailleur social la SIM, filiale de CDC Habitat et propriétaire des fonciers, le Crous et un organisme spécialiste de l’accueil des personnes âgées, permettant de proposer une approche intergénérationnelle : logements familiaux, étudiants et seniors, plus ou moins médicalisés.
Plus particulièrement, concernant le Crous : l’organisation du personnel et le repérage des chambres vacantes permettent de mieux faire face aux cyclones et la reconstruction tient compte des conditions climatiques plus difficiles à vivre toute l’année (orientation des bâtiments, aération, brasseurs d’air, végétalisation des parkings, confort thermique…)
Pierre-Olivier Sempere - Directeur général, Crous de la Réunion et de Mayotte
Intervention
Les technicentres industriels de Bischheim et de Villeneuve-Saint-Georges : quelle transformation globale pour faire face aux risques climatiques ?
Sur plusieurs hectares en centre urbain, les technicentres de Bischheim et de Villeneuve-Saint-Georges accueillent des bureaux, des entrepôts, des ateliers industriels, du matériel roulant en maintenance… Ces dernières années, le changement climatique a fait émerger de nouveaux risques tels que les inondations et les fortes chaleurs. La transformation globale des sites vise non seulement à atténuer et à s’adapter au changement climatique avec l’installation d’EnR, l’attention portée à la biodiversité et la création d’espaces paysagers… mais les projets s’attachent aussi à une meilleure gestion de l’eau dans la durée, entre manque et trop plein
Charlotte Girerd - Directrice transition, RSE et innovation, SNCF Immobilier
Intervention
Echanges avec la salle
Focus 1.2 : Recul du trait de côte et développement des territoires littoraux : quels nouveaux équilibres à horizon 2100 ? : 11h45 - 13h00
Intervention
Le village de Miquelon : un déplacement d’environ 600 habitants, en plusieurs phases, associant gestion de l’urgence et perspectives à horizon 2100
Avec 600 habitants, positionné entre les 2 îles, le village de Miquelon est intégralement classé en zone à risques et n’est plus urbanisable. Quels espaces proposer aux jeunes qui s’installent ? Bien que le rachat des constructions déjà existantes soit éligible au Fonds Barnier, comment organiser un tel déplacement de population et la faire adhérer au projet ?
Après l’élaboration d’un plan guide et du projet de relocalisation dans son ensemble, la phase 1 a débuté, avec une nouvelle urbanisation dans une zone non risquée, pour 15 parcelles d’habitation et des équipements publics. Celle-ci prévoient une répartition entre primo-accédants, relocalisation, coliving ainsi que création d’une zone refuge.
Les travaux ont été attribués à une entreprise locale en avril 2025 et une démarche de sensibilisation est lancée auprès des habitants qui auto-construisent leur maison.
Laurent Pinon - Directeur, Métamorphoses Urbaines
Intervention
Définir des scénarios d’évolution des modes d’occupation des sols à partir de cartographies des vulnérabilités (équipements, logements, industries, services…) et planifier les actions d’adaptation
Impliquée dans la démarche Territoires de Sobriété Foncière, la métropole de Sète souffrent depuis déjà plusieurs années du recul du trait de cote et des conséquences du changement climatique. Des cartographies des zones immergées à horizon 2050 et 2100 ont déjà été réalisées, mais pour mobiliser les acteurs sur le terrain, des scénarios médians sont nécessaires : comment anticiper la projection de 2500 logements et une voie ferrée noyés en 2100 ? Sur quelles étapes intermédiaires travailler pour garantir le bon positionnement des investissements et embarquer les parties prenantes ?
Acquisition de fonciers, relocalisation d’activités, anticipation des risques : quels enseignements tirer des dispositifs expérimentaux déployés sur le littoral des Hauts-de-France ?
L’EPF Hauts-de-France mène des expérimentations pour aider les collectivités à faire face au recul du trait de côte au cours du siècle à venir. En 2024 et en complément de son action opérationnelle, une première démarche, co-financée avec la Banque des territoires, a analysé le modèle économique et les nécessaires coûts à la charge de la collectivité pour l’acquisition des fonciers menacés et des fonciers de repli, en recherchant les éventuelles péréquations et optimisations possibles. Dans le cadre de sa feuille de route 2025-2029, l’EPF poursuit sa réflexion au service de l’émergence d’une nouvelle dynamique foncière incluant développement, contraintes budgétaires, risques et sobriété.
Noémie Condomines - Chargée de développement, EPF des Hauts-de-France
PAUSE DÉJEUNER : 13h00 - 14h30
Intervention
Keynote 1 : Retrait Gonflement des sols Argileux (RGA) : quelles solutions de prévention et d'adaptation pour les bâtiments et les infrastructures ?
Suite à l'appel à projet RGA ADEME France 2030, le Cerema a été lauréat de 2 programmes de recherche sur les RGA : l'un sur l'anticipation du niveau de sécheresse des sols en France, le projet SEHSAR en partenariat avec le BRGM, et l'autre sur le développement de solutions d'adaptation et de prévention RGA pour les bâtiments, le projet SAFE RGA en partenariat avec AQC, Fondasol, Université d'Orléans et Fedea. Ces expérimentations visent à évaluer l'efficacité, mais aussi la durabilité des solutions, tout en intégrant les dimensions de coûts : les investissements sont-ils rentables à court, moyen mais aussi long terme ? Comment évaluer ces solutions encore émergentes ? Déjà testé à petite échelle, les solutions pour l'habitat, comme MACH "MAison Confortée par Humidification", entrent dans une phase de plus grande ampleur, en partenariat avec l'assureur Covéa pour travailler également sur les questions de financement. Une plateforme en ligne de la dessication des sols pour mieux identifier les zones de risques est notamment prévue. Par ailleurs, les solutions sur les infrastructures seront intégrées dans l'Observatoire National des Routes sinistrées par la Sécheresse (ONRS) et un guide national à venir, en partenariat avec IDRRIM.
Laurent Arnaud - Directeur du département bâtiments durables, Cerema, Pierre Deroubaix - Ingénieur, Coordinateur scientifique adaptation au changement climatique, ADEME
Focus 1.3 : Vivre avec le changement climatique : transformer les modèles économiques, préserver les ressources et remodeler les territoires pour organiser la résilience : 15h00 - 16h15
Intervention
Sécuriser durablement l’accès à une eau de qualité sur le littoral de l’Occitanie méditerranéenne tout en préservant les ressources locales : le programme Aqua Domitia
Pourquoi penser dès aujourd’hui les questions d’accès à l’eau en 2050, 2070 voire 2100 ? Comment mieux intégrer les effets du changement climatique dans l’aménagement du territoire pour garantir l’accès à l’eau en climat méditerranéen, dans une logique de préservation des milieux naturels eux-mêmes sous tension climatique ? Comment définir de nouveaux modes de gestion de grandes infrastructures dédiées à la croissance de l’offre en eau pour répondre aux nouveaux enjeux de sobriété et d’accès équitable à l’eau pour le plus grand nombre sur des territoires soumis à un climat fortement modifié ?
Face aux enjeux des temps à venir, l’exemple du Réseau Hydraulique Régional et son programme d’extension Aqua Domitia permettra d’illustrer cette injonction « consommer moins et gérer mieux :
o Mobiliser la ressource du Rhône pour sécuriser l’accès à l’eau des agglomérations du littoral, pour réduire la pression de prélèvements dans des nappes phréatiques menacées par le changement climatique (montée du niveau de la mer, moindre renouvellement du fait de la réduction des apports…) ;
o Rénover les infrastructures pour réduire les fuites et les étendre pour garantir à tous l’accès à une eau de qualité et accessible ;
o Agir sur les comportements pour les orienter vers une plus grande sobriété en matière de consommation d’eau : particuliers, collectivités, industriels, agriculteurs dans un contexte de souveraineté alimentaire à renforcer ;
o Renforcer la concertation des parties prenantes, notamment avec la procédure du Débat Public activée pour le projet Aqua Domitia en 2012.
Le Réseau Hydraulique Régional (2,5 milliards d’euros de valeur à neuf) que BRL gère pour le compte de la Région Occitanie dans le respect de ces grands principes de responsabilité, sécurise l’accès à l’eau potable de 1,5 million de personnes et l’irrigation de 9 000 exploitations agricoles sur un périmètre global de 100 000 ha sur 300 communes.
Jean-François Blanchet - Directeur général, BRL
Intervention
Le lycée Simone Veil à Marseille : une conception pensée autour des risques et des usages, conciliant sobriété foncière, adaptation au changement climatique et maîtrise des coûts
Avant la loi ZAN, la région PACA lance la construction d’un lycée, indispensable aux besoins des habitants, et ce, sur un terrain très en pente. Grâce à une approche innovante appuyée sur une très bonne connaissance des enjeux climatiques de la région, le projet retenu a pu réduire de 50% l’artificialisation des sols initialement prévue par l’appel d’offres et a déployé de nombreuses actions pour répondre au climat méditerranéen et à la topographie particulière du terrain : îlots de fraîcheur, biodiversité, utilisation de la pente pour transférer la fraîcheur de la terre au bâtiment, analyse du circuit de l’eau pour éviter les inondations… Au final, le projet est économe financièrement, à la construction comme à l’exploitation et permet d’offrir au quartier une place de marché qui lui faisait défaut.
Corinne Vezzoni - Architecte
Intervention
La station de ski du Mont-Dore : le modèle économique et écologique de la montagne en question. Quels impacts sur l’aménagement du territoire et la politique du logement ?
Le modèle économique de cette station de ski du Massif Central reposait sur 2 mois de l’année, l’essentiel du chiffre d’affaires étant réalisé en hiver, plus particulièrement à Noël et en février. Face à la raréfaction de la neige, comment transformer l’activité pour la faire vivre toute l’année ? Comment gérer le passage d’emplois saisonniers très ponctuels à des besoins de main d'œuvre en continu, mais pour des employeurs différents selon les saisons ? Comment accueillir les vacanciers tout en conservant des logements accessibles et de bonnes conditions de vie pour les habitants : commerces ouverts toute l’année, maintien de l'école, établissements de soin… La démarche de transformation entreprise par la municipalité associe une vision à long terme et des actions menées dès aujourd’hui : notamment la création d’une SEM pour proposer des CDI aux employés des activités de loisirs, la mise en place d’une taxe sur les résidences secondaires afin de financer de nouveaux logements… A l’échelle intercommunale, un projet visant à redonner son lit à la Dordogne, est actuellement à l’étude.
Sébastien Dubourg - Maire, Commune du Mont-Dore, Conseiller régional et Président de la commission Montagne, Région AURA
Intervention
Echanges avec la salle
Focus 1.4 - Le numérique face aux risques ? Simulation, aide à la décision, anticipation : quels outils pour quels métiers ? : 16h15 - 17h30
Intervention
Modélisation du risque climatique et évaluation des impacts sur le risque financier : quels apports pour améliorer les projets ?
Les décisions de financement prises aujourd’hui par la Banque des Territoires ont une durée moyenne d’engagement de plus de trente ans. Dans les trente prochaines années, les impacts du changement climatique seront croissants et auront des conséquences significatives pour la viabilité des projets financés. Dans ce contexte, comment intégrer les impacts du changement climatique dans les décisions de financement ? La Caisse des Dépôts a développé un outil projetant 9 aléas climatiques (augmentation des températures, changement du régime des précipitations, inondations, vagues de chaleur, vagues de froid, feu de forêts, sécheresse, retrait/gonflement des argiles, tempêtes) jusqu’à la fin du siècle et tenant compte des caractéristiques propres des projets (localisation, secteur d’activité, mesures d’adaptation ou de résilience déjà en place). La méthodologie vise certes à mieux mesurer le risque à hauteur du bilan de la Caisse des Dépôts mais aussi à guider les porteurs de projets pour mettre en œuvre des mesures de résilience plus efficaces lorsque cela s’avère nécessaire.
Thomas Nicolas de Lamballerie - Responsable du service d’évaluation des risques climatiques et environnementaux, Direction des risques du groupe, CAISSE DES DÉPÔTS
Intervention
Cartographie des îlots de chaleur urbains : quelles sont les zones urbaines les plus exposées et quels impacts sur les stratégies d’aménagement ?
Les vagues de chaleur sont désormais un paramètre structurel du climat, avec des impacts sanitaires déjà significatifs et appelés à devenir majeurs. Le CSTB mobilise ses équipes de chercheurs pour fournir aux acteurs de la ville et du bâtiment des indicateurs, des outils d’aide à la décision et des solutions techniques en faveur du confort d’été. Parmi ceux à disposition, une cartographie de l’intensité maximale de l’îlot de chaleur urbain, déployée sur les grandes agglomérations françaises, disponible gratuitement sur data.gouv. Elle identifie les zones urbaines les plus exposées, facilitant les stratégies d’aménagement.
Comment l’IA et le numérique peuvent-ils aider à la conception des projets et quels impacts sur l’organisation des agences d’architecture et d’urbanisme ?
Les outils numériques et l’IA ouvrent de nouvelles perspectives pour la pratique architecturale. Ils permettent de concevoir des outils plus pertinents, plus rapidement, qu’il s’agisse de centraliser la connaissance, d’accompagner les différentes missions du métier et d’automatiser de nombreuses tâches. L’IA offre également la possibilité d’orienter les projets en intégrant une plus grande diversité de paramètres, notamment environnementaux, souvent nombreux et complexes.
Chez PCA-STREAM, cabinet pionnier en matière de recherche et développement, plusieurs axes sont explorés en interne, à la croisée des approches technologiques et environnementales :
• Développement d’une plateforme numérique interne et d’outil d’automatisation
• Calcul de l’empreinte carbone au niveau du projet
Comment les équipes s’organisent-elles pour s’approprier ces outils en interne ? Quels types d’accompagnement et quelles nouvelles compétences sont mobilisées ?
Camille Ouvrard - Architecte spécialisée en stratégie environnementale, PCA-Stream, Adrien Pointeau - Responsable des technologies, PCA-Stream
Intervention
Echanges avec la salle
Keynote de clôture : 17h30 - 18h00
Intervention
Osez l’imprévisible, soyez antifragile - Keynote par Jérôme Goze, Directeur, ENSA Paris Val de Seine
Face aujourd'hui à des défis de plus en plus complexes du fait du dérèglement climatique, des crises économiques et sociales, des pandémies, de guerres à nos portes, mais aussi du fait de l’évolution rapide des technologies, l’analyse des risques tangente l’imprévisible et sa puissance. Nos approches statistiques et nos modèles s’affolent, nos projets d’aménagement s’enlisent dans un champ d’injonctions contradictoires. Sommes-nous perdus dans cette promesse de chaos ?
Non, et vive la crise, la réouverture du champ des possibles et de ses contraires.
L’imprévisible est une menace à contenir, mais aussi une opportunité. L’aménagement, loin d’être un objet figé, est un système vivant, en perpétuelle évolution. L’imprévu devient une force créative, qui pousse à repenser les modes d’interaction, de cohabitation et d’appropriation des espaces publics. Moins de matière et beaucoup plus de services. Une telle approche invite à repenser les marges d’incertitude : plutôt que de viser à éliminer les risques, il s'agit de les intégrer dans une logique planificatrice adaptative. Ainsi, les espaces urbains ne sont plus seulement le fruit de décisions technocratiques, mais aussi le terrain d'expérimentations inattendues, de la construction de nouveaux imaginaires et d’innovations sociales et citoyennes. En un mot, un seul, l’aménagement sera plus juste et plus vivant, ou ne sera pas.
Animation par Alexandre Excoffon - Rédacteur en chef, Cadre de Ville
Le risque : anticiper, être résilient face au risque – Comment repenser le territoire en intégrant le risque ?